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la tanière du hérisson
13 mai 2011

Les couleurs vagues, de Georges Brassens

 

Ce recueil de poésies de Brassens, paru chez Librio (donc accessible pour une somme fort modique), concerne des écrits datant de la période 1939-1946, soit avant le lancement de sa carrière dans la chanson. On y retrouve en germination ce que seront les thèmes, le langage (riche et parfois désuet) et les positions du moustachu par la suite, mais sans vraie redondance. On y découvre tout ce qui fait les oeuvres de jeunesse sur lesquelles l'artiste fait ses premières armes, à savoir une fraicheur touchante autant qu'un relatif manque de maitrise ou tout naturellement de maturité dans la forme comme dans le fond. Les obsessions récurrentes comme les influences revendiquées (Verlaine, Rimbaud, Villon, Baudelaire ou d'autres) y sont exprimées d'une façon qui ne trouve pas toujours ni son identité propre ni sa justesse ou son efficacité.

Ainsi que l'annonce très simplement le commentateur des différents recueils courts compilés dans l'ouvrage, il n'y a pas là toujours des choses impérissables, et c'est bien pour ses chansons que Brassens mérite avant tout d'être passé à la postérité. Certaines pièces sont au mieux dispensables, sinon médiocres. Néanmoins, indépendamment de l'éclairage que cela apporte sur la suite de son parcours d'auteur, Brassens signe aussi quelques beaux textes, simples et touchants, qui méritent d'être lus, voire retenus. Rien que pour ça (tant d'autres n'en mériteraient pas tant), la publication de ces textes trouve sa justification pleine et entière.

Au nombre de mes préférés, en voici deux qui comptent parmi les premiers du recueil :

 

Effluves

Le vent qui se promène à travers les buissons

Ne vous chante-t-il pas les joyeuses chansons

Qu'on chantait autrefois, quand on était ensemble?

Et la pauvre feuille qui tremble

Au vent ne vous rappelle-t-elle pas mon coeur

Qui frissonnait sous vos regards moqueurs?

Et ce ciel, si noir, si maussade,

Ne vous fait-il pas refaire les promenades

Qu'on faisait la main dans la main,

Par les chemins

Et par les rues?

Il doit rester encore au fond de vous

Un souvenir de cette époque disparue.

Ce souvenir serait-il aussi doux

Que celui qui chante en moi-même,

Soir et matin, pour me narguer :

Ô gué, ô gué,

Tu l'aimes !

 

 

Septembre

Septembre,

C'est un grand bonheur sous un ciel d'orage.

Septembre,

Ce sont des amants qui vont dans le soir.

Septembre,

Ce sont des mots remplis d'espoir,

Des mots tristes et tendres.

Septembre,

Ce sont des coeurs jeunes rêvant

Dans le vent.

 

Septembre,

C'est un rendez-vous au fond d'un village.

Septembre,

C'est un amour pur dans une forêt.

Septembre,

Ce sont des baisers qu'on voudrait

Toujours plus doux, plus tendres.

Septembre,

Ce sont les joyeux au revoir

Chaque soir.

 

Septembre,

C'est un clocher noir qui sonne un mariage.

Septembre,

Ce sont des jardins chargés de couleur.

Septembre,

Ce sont des yeux chargés de pleurs,

Des yeux tristes et tendres.

Septembre,

Ce sont des souvenirs lointains,

Incertains.

 

Septembre,

C'est un pauvre amour sous un ciel d'orage.

Septembre,

Ce sont des regards qui semblent moqueurs.

Septembre,

Ce sont les dernières lueurs

D'un feu qui fut bien tendre.

Septembre,

Septembre, c'est un coeur trop lourd

Qui pleure de beaux jours.

 

 

Et puis le tout dernier du livre, magnifique d'empathie universelle et d'ironie mordante :

 

La pleureuse à gages

Quand un vivant plie bagage

Et que les gentils héritiers

Ont les yeux trop secs, on m'engage

A venir faire mon métier.

Car je suis pleureuse à gages,

la plus capable du quartier.

 

La chose s'est souvent produite

Mais je n'en tire aucun orgueil :

J'ai parfois des larmes gratuites ;

Je sais, parfois, pleurer à l'oeil

Pour des morts qui n'ont pas de suite

Et dont nul ne porte le deuil.
Je leur fais un brin de conduite,

Je leur mouille un peu le cercueil.

 

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