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la tanière du hérisson
30 avril 2011

un hiver de glace, de Daniel Woodrell

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Un livre sur la rudesse des terres, du climat et des gens, écrit superbement avec l'abrupte retenue d'un Daniel Woodrell plus que jamais maitre de sa narration, de l'évocation des choses injustes et simples qui jalonnent une vie, la bousculent, la balaient, et rendent encore plus méritoires l'obstination à les dépasser.

Un film est sorti sous le titre original du bouquin, Winter's bone, et restitue semble-t-il assez bien l'ambiance de l'oeuvre dont il est issu, d'après la discussion que j'ai eue avec quelqu'un qui a découvert l'histoire sur grand écran sans avoir lu le livre.

Cette histoire est assez dramatiquement simple, laissant d'autant plus de place à l'auteur comme une mélodie comportant peu de notes laisse de l'espace au musicien pour se l'approprier. Et là, dans les non-dits, Woodrell excelle. Et vous traine par la couenne jusque dans des recoins suggérés et noirs et poisseux qui interpellent plus qu'une litanie de détails glauques. Mais n'insistons justement par sur le côté brut, noir et désespérant de tout ça, car la beauté de ce livre réside avant tout dans la lumière qui parvient à percer par éclats brefs de toute cette trop dense obscurité.

L'histoire, donc. Simple. Mauvaise et teigneuse dans ses moindres recoins. Les monts Ozarks dans la froideur, la rigueur des éléments naturels, à laquelle répond dans un écho moisi la dureté des comportements, la misère sociale, la consanguinité, la violence, la démence, les débordements, l'impossibilité de fuir. Le portrait lumineux et sali d'une adolescente, Ree Dolly, sur les épaules de laquelle repose le foyer abandonné par son père Jessup. Ree, 16 ans et déjà un passif à pleurer, s'occupe dans la pauvre baraque miteuse léguée par ses aïeux de sa mère jadis si jolie et joyeuse, aujourd'hui folle et recluse, de ses deux petits frères, déjà brutaux et teigneux, avides d'apprendre le vice et la violence, dans un monde où ça a du sens pour s'en sortir. Les voisins tous un peu cousins qui épient et jugent autant qu'ils aident et veillent au grain, le poids des conneries des adultes et aucune raison d'en voir le bout, à part partir, une question qui ne se pose même pas. Partir, le père l'a fait pourtant. Figure obsessionnelle et impressionnante malgré ses défauts, il est là tout au long du livre par son absence. Celle qui fout dans la merde, parce que Jessup est comme beaucoup d'autres un fabricant de drogue, avec un casier judiciaire tellement long et poisseux qu'il le rattrape et amène sur le palier, pendant une des virées à propos desquelles il promet qu'elle le ramènera plein aux as, un message laconique : s'il ne se présente pas à sa prochaine audience, la caution ne pouvant être payée et la maison ayant été hypothéquée à l'insu du reste de la famille, tout ce beau petit monde sera viré, dehors, en un mot : tombé, fini, mort. Ree part alors le chercher, le traquer, le retrouver, pour s'en sortir, parce qu'elle n'a pas le choix. Et qu'elle a suffisamment de trempe, de tempérament et de dureté en elle pour encaisser tout ce qui se mettra sur son chemin. Et elle va morfler grave, la gamine.

Le livre est court, pas bavard, s'attardant autant, le peu qu'il parle, sur le climat et la nature qui imprègnent tout ça que sur les événements eux mêmes ou les dialogues. Ce livre est beau, terriblement dur mais absolument aux antipodes de toute facilité morbide ou de complaisance dans la  noirceur. Les choses sont comme ça, on ne nous dit pas ce qu'il faudrait en penser. On les traverse comme on peut, c'est tout. On fait des choix, on s'y tient, on encaisse et on envisage la suite en fonction de ce qui reste. Qu'on n'aille surtout pas croire que Woodrell, auteur à la fois reconnu de ses pairs et sousestimé et méconnu du public comme le fut le géant Crumley, s'impose par son sujet ou par la fascination qu'exercent les parcours déglingués ou les affres d'une vie tabassée de toutes parts. Il s'impose par sa narration limpide, pudique, mais aussi directe et franche, qui n'occulte aucune turpitude. C'est sans doute là, à mon humble avis, son meilleur roman à ce jour. Et les autres sont pourtant tous bons.

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