Le chanteur Intidaw de Tinariwen arrêté par les islamistes du Nord mali

 

J'ai déjà, je crois, parlé de mon admiration de longue date pour le groupe Tinariwen, porteur de l'identité musicale et plus largement de la culture tamasheq (touareg). Devenus des stars internationales de la world music et, de fait, porte étendards de l'identité africaine au travers d'une population pourtant souvent ignorée par les gouvernements des pays africains où elle vit, les musiciens ont naturellement évolué au gré de collaborations avec d'autres artistes mais ont toujours gardé un profond enracinement dans leur culture d'origine.

Le début de la nouvelle rébellion touareg en 2012 l'a encore montré puisqu'il a vu le départ du chanteur du groupe, Ibrahim Ag Alhabib, qui a préféré rejoindre cette même rébellion. Elle trouve aujourd'hui une nouvelle illustration malheureuse, révélatrice cette fois de la confiscation de cette même rébellion par les factions islamistes du Nord Mali. Ces groupes, qu'il s'agisse d'AQMI, d'Ansar Dine ou d'autres comme le Mujao, prospéraient depuis plusieurs années dans la zone désertique immense au nord du pays et, ayant pris largement le pas sur les rebelles du MNLA (mouvement national de libération de l'Azawad) appliquent désormais la charia dans des villes comme Gao ou Mopti.

Depuis le départ d'Ibrahim, Abdallah ag Lamida dit " Intidaw " a repris le flambeau en devenant chanteur principal de Tinariwen. Des médias touaregs ont annoncé il y a quelques jours son arrestation par Ansar Dine alors qu'il revenait d'une tournée avec le groupe et après un séjour en Algérie. Cette arrestation montre à quel point décidément la culture est un outil considéré comme dangereux par les obscurantistes et en quoi il ne faut pas se tromper quand on amalgame la rebellion touareg aux islamistes avec lesquels elle a eu le malheur de pactiser. La réalité des touaregs, désormais, se caractérise d'abord par des vastes mouvements de populations de réfugiés dans les pays limitrophes.

Tinariwen n'a jamais caché son soutien à la cause de la rebellion touareg (rappelons que les membres du groupe se sont rencontrés dans les camps d'entraînement militaire lors de la rébellion des années 90) visant à fonder un état sur le territoire qu'ils désignent sous le nom d'Azawad et portant l'identité de la nation tamasheq, ignorée et non reconnue par des états comme le Mali, justement. En revanche, depuis qu'il est chanteur lead du groupe, Intidaw n'a cessé de dénoncer ce qui se passe au Nord Mali et d'exhorter ses compatriotes à se démarquer des factions islamistes. Le site Malijet résume ainsi le discours du chanteur : "il rappelle aux Touareg de l’Azawad l’importance vitale de leur culture millénaire menacée par l'ignorance et la violence d'une idéologie qui fait honte aux Touaregs. Il appelle les Touareg à l'union contre l'humiliation de la présence terroristes dans l'Azawad après l'avoir libérée du Mali." Autant dire que ce message n'est justement pas du goût des fondamentalistes musulmans. Faire taire une des voix informées et concernées par ce qui se passe sur, capable de dire sur la scène internationale son désaveu de groupes terroristes et rétrogrades, était tentant.

Des informations, non confirmées, font état de la libération du chanteur. D'autres accusent le DRS (services de renseignement algériens) de soutenir les islamistes et donc d'avoir facilité cette arrestation. Au travers de cet événement, beaucoup de choses révèlent la complexité de la situation, une fois de plus en partie héritée du découpage colonial et de l'organisation occidentalisée des gouvernements africains depuis leur indépendance, au mépris de la réalité, tellement plus subtile et complexe, des identités culturelles des multiples populations d'Afrique.

Voici pour finir une présentation d'un concert récent en Algérie (où, là aussi, la considération accordée aux populations touaregs n'est pas consensuelle, loin s'en faut) et une courte interview qui montre assez bien la position du groupe face à tout cela.