James Crumley est mort
James Crumley est mort. Et c'est un grand qui part. Un auteur de polars ? Non, Monsieur : un écrivain. Un grand, assez grand pour que son écriture ne la ramène pas, pas le genre de la maison, mec, tout en vous en imposant d'emblée,. Une écriture limpide, directe et sans ambages, sons trash complaisant, sans maniérisme gras, une écriture généreuse, pétrie d'une humanité indécrottable, d'une chaleur au plus profond de la déglingue et de la poisse. James Crumley est mort. Un type qui, parait-il, ressemblait à ses livres (à moins que ce ne soit l'inverse). Si c'est ça, on peut dire qu'il a vécu, le bonhomme. Un mec qui sait ce que c'est que d'avoir des tripes, parce qu'il décrit bien combien ça fait mal quand on tape dedans. Avant de claquer, à 69 ans, il a donné aux lecteurs une poignée de livres importants.
Crumley n'est pas Bukowski, n'est pas Chandler, n'est pas Harrison. Il a tracé son parcours bien à lui, dans son Montana, jusqu'à y laisser suffisamment sa patte d'ours pour y faire école. Il connaîssait l'humanité suffisamment pour en retranscrire les élans respectables comme les bassesses, l'obstination comme l'incapacité à affronter certaines situations quand la vie, décidément, n'y met pas du sien. Avec compréhension pour les errances, les excès, le refuge dans la jouissance immédiate et l'amitié débonnaire, quand tout le reste n'a guère plus de sens, la plupart du temps. Avec toujours ce regard bienveillant, dur et impliqué, les pieds dedans, devant tout ce que l'existence, précaire, médiocre et rèche, peut avoir d'inaccompli. Crumley racontait des destins déglingués, rafistolés et qui tenaient la route en godillant de la patte, avec leur lot de trahisons, de blessures affectives et d'erreurs lourdes. Il ne parlait pas de l'essence atemporelle de la condition humaine, non ; il avait l'intelligence de placer ses personnages dans une géographie, un contexte social, revendicant sans doute cette imprégnation et ce qu'elle a de déterminant dans le parcours et l'identité des gens. Le bonhomme avait un vrai talent pour évoquer ce qui fait de nous des êtres sales mais respectables, parfois, pour peu qu'on s'en donne la peine. Il laisse un trou béant. Reconnu mais pas acclamé, il sera sans doute injustement laissé en bordure du panthéon des écrivians américains contemporains, mais il s'en foutait sans doute. Je n'en sais rien, à vrai dire. avait la trampe des plus grands. Putain James, tu manques déjà. Trop peu, trop peu de bouquins. Et tant dedans, déjà, ceci dit.
Ils sont tous bons, du terrible Un pour marquer la cadence aux tribulations de ses deux personnages emblématiques et qui lui ressembaient forcément un peu, Sughrue et Milo. Lisez Le dernier Baiser et Fausse piste. C'est avec eux que j'ai découvert Crumley, je n'en ai pas démordu depuis. Le Montana est encore plus rèche et enclavé depuis quelques jours. A la tienne, vieux Crumley. Merci.