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la tanière du hérisson
3 juin 2007

Miossec - L'Etreinte

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    Je n'ai pas pris le temps, avalé que j'étais par d'autres choses, de dire au moment où il est sorti et depuis que je le fréquente, tout le bien que je pensais du dernier album de Christophe Miossec. Il a déjà de la bouteille, ce disque, mais après tout, puisque les affaires reprennent et que je n'ai jamais prétendu chroniquer des nouveautés, je vais revenir dessus, car il le mérite bien.

 L'Etreinte, ou (enfin) l'album de la maturité pour Miossec. J'ai connu le Brestois dès ses débuts, quand il faisait la première partie de l'énorme spectacle de Dan Ar Braz, L'Héritage des Celtes. Je l'ai adopté d'emblée, comme quelque chose de nouveau et d'important, qu'on n'avait pas vu venir mais qui comblait un vide important, qui répondait à quelque chose qu'on attendait sans en avoir conscience. Mots crus et justes, durs, salauds, sans concessions, chantés à l'arraché, une musique simple et terrible qui mettait le doigt comme jamais sur des difficultés humaines, trop humaines, entre hommes et femmes, entre pulsions et raison, entre besoin d'être à la hauteur et incapacité à y rester bien longtemps. Les deux premiers albums, "Boire" et "Baiser", ont tracé un chemin qui a depuis fait des petits mais n'ont jamais été dépassés. Même pas par leur auteur, et c'est un peu le problème. Dépassé par sa caricature parfois méritée d'homme inégal, survenant sur scène pour torcher son set, il a fini par faire oublier à certains que me^me bourré le bonhomme restait toujours sincère, que même décevant il restait lui même, que même tournant en rond il persévérait, qu'il persistait et signait la même absence de concessions. Moi, ses concerts, je les trouvais bons, mais il est vrai que je ne l'ai vu que sur les premières années. Et, du reste, on s'en fout.

    Je lui suis toujours resté fidèle, même moins convaincu, moins emmené par des chansons désormais creusant le même sillon, pas loin de la formule, pas loin des automatismes, alors même qu'on sentait Miossec en quête de tout casser, y compris et surtout les facilités. Sans y parvenir vraiment. Pas là. On avait célébré à juste titre 1964, l'album de la quarantaine et des ambitions retrouvées, mais là c'est encore autre chose. L'Etreinte est pour moi à Miossec ce que Stories from the city, stories from the sea est à PJ Harvey. L'album où il réussit à faire mieux que le premier jugé indépassable (comme Dry l'a longtemps été pour PJ), en jouant sur un autre tableau. Sans la fraicheur et l'énergie impossibles à retrouver et à ne surtout pas essayer de singer, il s'agit ici de magnifier la même démarche par toute l'expérience accumulée entre temps, en chemin. Toutes les bosses, les cabossures, les errements, les intrépidités, dépassées, enfin digérées.

    Sur cet album, les arrangements sont très beaux, surtout très justes. Pas d'avant-gardisme, pas de ronronnements non plus, pas d'épate, tout sert le propos. Miossec chante comme jamais, prend des risques tout en faisant preuve d'une rigueur indéniable, il renoue avec des ambitions servies par la justesse du ton. Les textes sont écrits et tout autant crachés, il y a là de quoi jouir de mélodies et de mots bien troussés pour longtemps avant qu'on trouve mieux dans ce registre. Miossec reprend la main. Et emporte la mise. Haut la main. Chaque titre est accrocheur, simple d'accès de son comme de sens, il convainc d'entrée de jeu et l'impression ne se dément pas ensuite.

    Du vécu, Miossec semble en avoir à revendre. Les sujets sont sensibles, il y va franco et jamais ne se plante. Le gars parle des sentiments d'un fils envers sa mère ("maman"), d'un père envers son fils ("bonhomme"), des mâles séducteurs dangereux ("le loup dans la bergerie") comme des mâles amoureux et cocus ("la grande marée"), il évoque surtout toutes les impuissances et les petits accommodements avec soi même qu'impose une vie ordinaire et donc nécessairement compliquée. Fan de R. Carver, Miossec continue à lui être fidèle dans les portraits sensibles et dénués de pathos, de sensiblerie, d'humains amochés mais qui en redemandent. Des gens médiocres mais qui se coltinent avec l'existence par accoups de bonne volonté, comme autant de coups de trique dans la viande suante qu'est leur vie.

    Miossec a ouvert la voie à beaucoup de monde, notamment nombre d'artistes qui font carrière notoire aujourd'hui bien davantage que lui. Il continue à leur en remontrer, à faire oeuvre quand d'autres produisent, à être sincèrement maladroit mais juste quand d'autres font les malins avec talent. Mais de toute cette génération de chanteurs et chanteuses célébrant les trentenaires, pas un n'a produit une chanson aussi définitive que "30 ans", que le bonhomme breton a eu l'intelligence d'écrire avec 10 ans de recul. Que dire aussi, d'une chanson aussi drôle que touchante comme "quand je fais la chose"? On retrouve là le Miossec imparable qui mériterait d'être  repris sur une compile hommage si ce genre de disques ne sentaient pas le formol voire le sapin.

    Une Etreinte touchante et maîtrisée, avec un amant couturé de cicatrices, tuméfié, à l'haleine lourde, un humain bâtard comme nous le sommes tous, mais un amant présent et qui vous regarde dans les yeux. Et qu'on écoute chanter avec justesse nos propres vies sans qu'on trouve un mot pour l'interrompre ou lui dire qu'il a tort. Je me rends compte que ça fait bien 10 ans sans doute que je n'ai pas vu ce gars en concert. Il serait peut-être temps de renouer avec son haleine lourde (de sens).

PS: je ne touche aucun droit sur les jeux de mots pourris qui servent de chute à mes chroniques trop longues.

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