le mensonge est un vilain défaut
Aujourd'hui, une fois n'est pas coutume, j'ai menti à mes élèves.
J'ai inventé un personnage (un auteur, en l'occurence) en le leur
présentant comme parfaitement réel. Ils vont apprendre une poésie de
quelqu'un qui n'existe pas. Et il y a de grandes chances qu'ils ne le
sachent jamais.
L'imposture n'est pas ma
spécialité, la mythomanie non plus. Pour autant, sans être un partisan
des pieux mensonges, je n'ai aucun tabou vis à vis de ça quand ça
s'exerce dans un cadre bénéfique. En fait, je m'en fous, je ne mens pas au quotidien, j'ai même comme tout un chacun foi en la nécessité de faire confiance aux gens mais dans certains cas, l'affabulation ne mange pas de pain. Je m'explique, sinon ça va déraper.
Tout comme le rapport au réel, à l'authentique, dans la littérature ou
les oeuvres artistiques, peut être fascinant (je ne parle pas de
l'auto-fiction), il me paraît assez peu dit qu'il n'y a, aujourd'hui
plus que jamais, aucun devoir de véracité dans la parole. C'est
malheureux, mais c'est comme ça.
En tant qu'historien de
formation, l'incapacité à atteindre une vérité objective est un
véritable déchirement. Un truc qu'il est nécessaire d'admettre, c'est
qu'on peut essayer de comprendre le passé, mais l'interprétation qu'on
en a n'est pas une vérité absolue. Pourtant, tout le monde prend le
contenu des livres d'Histoire pour argent comptant (et, quelque part,
heureusement). J'ai l'air de m'égarer, mais vous allez voir, je vais
retomber sur mes pattes.
Un des aspects qui m'a le plus fasciné
dans le roman "l'épopée du buveur d'eau" de John Irving, c'est la façon dont
son personnage a truqué le jeu de la vérité historique. Seul
spécialiste d'une langue nordique à présent disparue, il en arrive à en
inventer une autre de toute pièces, par impasse dans les recherches
pour sa thèse et, aussi, parce que cette imposture est probablement
excitante. Il crée une langue de A à Z, et fait oeuvre littéraire pour
continuer à bénéficier de ses crédits de thèse. Et ça marche très bien. A mon avis, ce genre de choses
n'est pas arrivé que dans un roman.
Quand on est le seul
spécialiste dans un domaine, on en devient un expert que personne ne
peut disqualifier, du moins pas facilement. S'établit alors un rapport
de confiance, on s'en remet au spécialiste pour nous délivrer la
vérité. Et s'il nous raconte des bobards, il y a peu de chance qu'on
s'en aperçoive. En menant mes propres recherches de maîtrise et de DEA
en histoire médiévale, j'ai à un moment senti le vertige de cette
possibilité d'abuser tout le monde, ce pouvoir de l'imposture que
personne n'irait vérifier dans les archives, à condition de rester
crédible. Je n'y ai pas succombé. Vous pouvez me faire confiance. Si,
si. N'empêche.
De même que "drôle d'endroit pour une mauvaise rencontre" exploite les
possibilités du blog en tant que principe littéraire et cadre narratif,
sans en garder le caractère autobiographique, créant une vie de toutes
pièces, inventer des choses pour le plaisir d'enjoliver des petits
moments de vie n'est pas plus méchant que d'évoquer un conte.
Quand
je raconte une histoire à mes élèves, conte ou pas, ils me demandent
souvent : "Mais c'est une histoire vraie? Dis, ça a existé ou c'est
pour de faux?" et j'essaie de leur faire comprendre que l'important
n'est pas là, l'intérêt est ailleurs. C'est l'histoire, le voyage, qui
importe (bien sûr, je n'ai pas du tout le même avis sur un journal
télévisé ou une étude sociologique). Et quand j'invente une histoire pour eux, je place quelques
éléments réels comme des noms de lieux, des références qui leur parlent
concrètement. L'ambiguïté n'en est que plus troublante. Et, enfants
comme adultes, nous avons tous besoin d'être troublés.