or rèche 006

Sale con, tu es vraiment mal en point ; tout t'émeut ; tout te bouscule. Le bruit que fait la capsule de bière que tu éjectes d'un geste indolent avant de glisser le goulot sur ta lèvre inférieure, c'est presque émouvant tellement on n'y fait jamais attention, réalises tu. Pauvre et sale con, tu en es là ; à observer le monde par les microdétails qui en révèlent une vérité qui ne sert à rien. Sinon à s'émouvoir. Et chacun sait combien s'émouvoir est au mieux stérile, au pire dangereux.

Te voila, mon gars, seul au milieu de nulle part, comme tu l'as toujours voulu, à décréter des vocations érémitiques contrariées, à souffler sur les braises d'un anachorète en sommeil, à te la jouer desperado ou ronin ou connard associal style punk sans chien-parce-que-même-les-chiens-c'est-trop-de-compagnie, et finalement la silhouette a du plomb dans l'aile, et tu vois bien que ça ne ressemble à rien. Qu'au fond, tout est là, que tu n'es rien d'autre que toi, tel que tu étais tout ce temps, et que les promesses étouffées et remises à plus tard n'ont rien d'autre dans le ventre qu'un écran de fumée vaguement complaisant et gras du bide. Alors tu bois, forcément. Et tu t'émeus. A qui mieux mieux. Mais personne ne te voit pleurer, de fatigue, d'abandon, sur ta treizième bière, comme un sale con. Est-ce que seulement ça te ferait plaisir? Moi qui te regarde, moi qui te cherche à comprendre ce que tu viens foutre ici, moi dont tu ne souçonne ni le nom ni le travail, moi, je te regarde, je te vois pleurer de fatigue, d'abandon, je te vois démuni et pour la première fois complètement seul. Je décapsule une bière, et je la vide doucement. De mon poste d'observation, je contemple ce qu'il reste d'un parcours, et je sais qu'il me reste à te dire combien rien de tout ça ne compte, et combien il te tarde sans que tu le sache de passer à autre chose de foutrement plus important.