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la tanière du hérisson
15 août 2010

Les Escales de Saint-Nazaire, 6-7 août 2010

Les_Escales_de_Saint_Nazaire_20101

Pour une fois je ne passerai pas tout en revue de ce festival, ce qui est un comble car cette année plus que jamais la programmation était dense, de qualité et sans faute de goût. Oui mais voila, quand on n'a que de bonnes choses à se lettre sous la dent ou dans les oreilles, on n'en repère que mieux ce qui est vraiment au-dessus du lot, les moments de grâce que rien ne vient altérer. J'en ai raté certains peut-être, je parlerai surtout de ceux auxquels il m'a été donné d'assister. 

Je vais quand même dire un mot de deux de ces rendez-vous manqués, d'abord parce que je suis un peu dégouté, ensuite parce que je ne pourrai pas, du coup, juger ni comparer l'effet que ça m'aurait fait avec celui produit par les quelques choix que j'évoquerai ensuite. En premier lieu il y a Rokia Traore, programmée en ouverture de festival en même temps que le spectacle Ethiopiques. Dilemme cruel, et même si je ne regrette pas mon choix (on se reverra, Rokia...), c'est vraiment un regret de ne pas avoir pu retrouver à nouveau la petite fée malienne. Et puis il y a Abraham Inc., le combo de David Krakauer et Fred Wesley (ancien comparse de J. Brown, déjà venu à st-nazaire...). Histoire d'en finir avec la programmation et de souligner quand même la densité et la qualité de celle-ci, je listerai malgré tout quelques pointures, en vrac : Babaa Maal, Salif Keita, Youssou Ndour, Tony Allen (rien que ça, ça en impose), Electro Bamako, Getatchew Mekuria (légendaire saxophoniste éthiopien), Justin Adams, les tambourinaires du Burundi, et ce sacré Féfé qui a du se taper à peu près tous les festivals de France et de Navarre cet été... Avec une prog comme ça, comment ne pas rater des trucs, quand les concerts se chevauchent?

La première prestation à laquelle j'ai assisté fut aussi la plus grandiose. Difficile après ça, dans la soirée, de trouver autre chose qui me séduise, tant l'impression d'ouverture a été forte. Badume's band, groupe de musiciens bretons épris de la soul éthiopienne des années 70, invitait deux légendes de cette même musique, Alèmayèhu Eshete et Mahmoud Ahmed. J'avais vu les premiers dans un concert au Ty Anna, à Rennes, il y a un ou deux ans, et je savais la qualité de leur travail, loin d'une pâle copie de fans blanc-becs. Respect, classe, groove, un écrin à la hauteur a priori. A posteriori, mieux que ça. Le groupe cette fois était impressionnant, d'élégance, de précision, d'harmonie, de groove. Un régal, amoindri par l'effacement somme toute logique et néanmoins regrettable du chanteur Eric Menneteau, qui laissait le devant de la scène aux deux chanteurs emblématiques de l'Addis Abeba des années 70. Alèmayèhu Eshete, crooner funky un brin canaille, a distillé son énergie  et son swing dans un registre à la james brown mâtiné d'un je ne sais quoi de suave et gentiment débraillé. Mahmoud Ahmed, lui, a été tout simplement impérial. En grand monsieur, il a livré une prestation toute en générosité et en élégance, légitimement gratifiée d'un accueil plus qu'enthousiaste par un public complètement envoûté. De bout en bout, les musiciens, chanteurs, étaient en immersion totale dans leur musique, souriants, complices, heureux de partager cet enivrement serein.

J'en suis ressorti tellement charmé que plus grand chose ne pouvait être à la hauteur dans le reste du programme. De bonnes choses, malgré tout, mais assez injustement pour les artistes concernés, je suis resté bloqué sur ce concert d'ouverture.

Le deuxième jour, une fois de plus il a fallu se partager et aller picorer d'une scène à l'autre. J'ai quitté Salif Keita à regrets pour aller écouter un projet dont j'étais curieux de voir ce qu'il avait à offrir, sans être forcément convaincu d'avance. Là encore, on retrouve un collectif de bretons allant à la rencontre d'autres cultures. En l'occurrence, le Jacky Molard Quartet a travaillé avec le Founé Diarra trio pour former N'Diale, un projet à la croisée des musiques traditionnelles de Bretagne et du Mali. La première formation se compose de musiciens que je connais bien. D'abord le Maître, le violoniste Jacky Molard, puis Janick Martin à l'accordéon (excusez du peu), Yannick Jory aux saxophones et Hélène Labarrière à la contrebasse. Le second groupe s'est constitué autour de la chanteuse Founé Diarra, avec Kasim Sidibe au n'goni et Alhassane Sissoko au djembé. Sur le papier, je n'étais pas persuadé que la rencontre fonctionne, malgré la qualité des musiciens impliqués. Beaucoup de métissages entre musiques du monde donnent lieu à des musiques qui tiennent la route mais sont rarement transcendantes, soit parce que la rencontre est un peu systématique et que la sauce ne prend pas, parce qu'elle n'a pas de sens, soit parce que la démarche ne trouve pas de file conducteur autre que juste la volonté de faire cohabiter des mondes qui n'arrivent guère à se parler. Et là, pof, surprise. Que dis-je, enchantement. Ravissement. Et le public ne s'y est pas trompé. Enthousiaste dès le début, il l'est devenu de plus en plus, portant les musiciens avec ferveur et bienveillance. Parce que bon, tout de même, c'était beau. Je dirais même plus, c'était vraiment joli.Là où j'ai été surpris c'est justement il n'y a pas eu fusion, vrai travail de composition d'une musique issue de deux patrimoines mais hybride. Non, ici il y a cohabitation, juxtaposition, voisinage des deux héritages, et la sauce prend carrément. Je me suis surpris à identifier certaines danses bretonnes sur des morceaux dont la rythmique était de prime abord très marquée africaine, mais sinon je ne me suis pas trop posé la question. Les musiciens ont livré des compositions belles et simples, enlevées, au groove impeccable, sans se marcher dessus, laissant en toute décontraction surgir des influences trad, jazz, swing, peu importe. La belle voix de Founé Diarra, lumineuse et souriante, était une des composantes de ce grand balancement protéiforme, joyeux, pétillant, entre assise très terrienne et envolées inspirées. Bon, pas trop d'adjectifs et de métaphores, j'ai été vraiment plus qu'emballé et je ne suis pas le seul. Ce qui ne promettait pas d'être un des gros points forts du festival (en termes de renommée et de grosse machine world internationnale, s'entend) s'est révélé à mon gout et sûrement à celui de nombre de spectateurs une des vraies réussites de cette édition des Escales. Comme la veille, la première chose que je me suis dite en quittant la scène pour aller en rejoindre un autre, c'est "vivement que j'ai à nouveau une occasion d'assister à ça".

La dernière chronique sera consacrée à une combo d'un tout autre accabit, à savoir les improbables, inénarrables, incomparables et hautement inflammables Funkadelic. La bande de fous de George Clinton a bel et bien débarqué en plein coeur de la soirée sur la grande scène de Saint-Nazaire pour deux heures de show et je ne voulais rater ça sous aucun prétexte, ne serait-ce que pour avoir vu ça au moins une fois dans ma vie. Ces pionniers du gros funk roots et débonnaire ont été à la hauteur de leur réputation. Bon, ils ne sont pas descendus d'un vaisseau spatial et il n'y avait pas de crâne géant qui crachait de la fumée, comme à la grande époque, et il n'y avait évidemment pas Bootsy Collins, mais c'était vraiment une expérience à part. Imaginez des types, des filles dans des tenues des plus exubérantes et complètement foutraques qui vont et viennent sur scène, au gré des morceaux, jouer d'un instrument ou juste se balader, promener une pancarte avec un slogan provocateur ou juste crétin, faire un pas de danse ou asticoter le public, pendant des morceaux à rallonge où jamais le groove ne faiblit. Bref, un joyeuse bande irrévérencieuse et bigarrée (j'ai compté jusqu'à 18 musiciens sur scène en même temps...) emmenée par le maître de cérémonie, M. Clinton, assénant les tubes du groupe comme "Maggot brain", "one nation under a groove" ou "we want the funk" dans un esprit de fête, de douce lubricité ou de fanfaronnade potache. Certains n'auront guère été sensibles à l'expérience, sans doute dépourvus des références nécessaires pour apprécier ce monument de la musique américaine, mais d'autres compensaient en connaissant tout par coeur et en s'éclatant comme des fous (comme cela avait été le cas lors des deux éditions précédentes avec la venue d'autres mastodontes anglo-saxons comme Sonic Youth et Marianne Faithfull). Moi, j'étais aux anges, pris par le rythme, la joie de vivre, la soul et l'absence totale de conformisme de ces gentils barjots. Bon, on peut aussi dire qu'ils ont livré une prestation calibrée, rodée, sans vrai moment de folie imprévu, et c'est sans doute vrai au moins en partie. Mais ils étaient tout sauf décevants, c'est clair, et Funkadelic, malgré la perte récente de son guitariste fétiche (celui qui d'ordinaire jouait sur scène habillée d'une énorme couche culotte, je crois), s'est montré grandiose, démesuré et inconséquent, comme on était en droit de l'exiger d'un animal hors norme comme lui. Merci, les gars. Et merci aux organisateurs, pour cette édition 2010, une fois de plus sans fausse note.

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