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la tanière du hérisson
19 avril 2007

promenade au soleil

    Ce qu'il emmagasine, il le rend disponible. Pas d'arrière-boutique avec code d'accès, Melkian est de ceux qu'on entrevoit d"emblée tels qu'ils sont. Ce qui peut parfois amener à penser, à tort, qu'ils ne réservent aucune surprise. Aujourd'hui, MelKian Droman est de sortie. Celui que les voisins ne connaissent d'ordinaire guère que par le mouvement furtif entraperçu le temps de tirer les rideaux de sa fenêtre, ou par celui d'une silhouette hâtive happée par une porte qu'elle s'empresse de passer, celui qu'il est de coutume d'appeler dans le quartier "L'ombre d'un coup de vent", eh bien on le trouvera pas chez lui. Pour peu que l'idée vous vienne d'en avoir l'envie. Evidemment.
    Il fait grand soleil, il fait même chaud. Melkian Droman a mis une tunique marocaine à manche courte, un jean élimé et des sandales qu'il a depuis que son pied a cessé de grandir, c'est à dire une bonne trentaine d'années. Il a un sourire aux lèvres, un chapeau sur la tête, des clopes en poche et sa guitare à la main. C'est une guitare  qui lui ressemble : vieille, amochée, sans prétention, décorée au feutre de motifs en spirale qui lui donnent un aspect un peu étrange et pas très musical. C'est un instrument boiteux et sans charme qui ne rend un son convenable qu'entre les mains de son maître, qui, précisons le, n'est pas son propriétaire pour autant. Cette guitare, elle appartenait à son oncle et il lui a volé le jour où il a décidé que son oncle ne lui volerait pas tout de son avenir d'adolescent mal foutu. Ce temps est lointain et la vieille guitare a oublié à qui elle appartenait, elle a découvert qui la faisait chanter et résonner et s'en est tenue là, ils se sont adopté il y a longtemps déjà, tous les deux. Dans les rues, il y a des gens en nombre raisonnable.

    L'homme qui ne sort jamais beaucoup est plus enclin à ressentir comme puissant ce qui nous paraît anodin. Il hume les détails qui le percutent  de ci, de là,  il déambule sans que jamais son regard, son nez ou ses oreilles ne trouvent rien à récolter.  Melkian ne connaît personne dans cette ville, et  il l'a bien cherché. Même avec son accent, même avec sa dégaine, même avec ses entournures pas nettes, il y a là-dedans, dans la panse grouillante des villes, de quoi se faire des relations, des copains, des amis ou des semblants d'humains avec qui partager un peu de sa médiocrité quotidienne. Mais non, ce bougre de Hongrois mal dégrossi s'est toujours tenu à l'écart de toute occasion de fraterniser. On ne fraternise pas quand on est de passage, et Melkian a toujours été de passage partout. On ne cherche pas la compagnie des bons quand on a renoncé à être des leurs.

    Il fréquente, il cotoie, il approche les gens qui vivent là, étalés à sa portée dans leurs habitudes, leurs ennuis, leurs ambitions. Il sait combien il aurait à gagner à aller vers eux, mais comme tous les gens âgés qui ont déjà donné, qui ont déjà tenté l'aventure en toute confiance, il préfère se protéger de ses semblables et les protéger de lui. N'allez pas croire qu'il est cynique, aigri, complaisant, déprimé, idiot ou sombre. Melkian est un être disponible, enclin à la bonté, susceptible de parler avec sincérité et implication au premier humain perdu qui lui demande de l'aide ou de l'écoute. A force de donner sa chemise à des inconnus sans attendre qu'on la lui rende, il a cessé d'en acheter. Non, sincèrement, Monsieur Droman est quelqu'un de plutôt enjoué et sympathique. Simplement, voyez vous, il n'a plus l'illusion des choses simples et il se sent profondément, définitivement détaché de tout. A la terrasse du café où il pose sa promenade et son insouciance, il s'installe, commande un demi et regarde les gens passer. Il aimerait bien avoir des luenttes de soleil, ça semble de circonstance, mais il n'en a pas et il a l'air d'un con, à plisser des yeux en permanence.

    Il boit son demi bien frais, il sort sa guitare de son étui et il commance à laisser la brise parcourir le vieux bois. Il devrait changer les cordes, quand m^me : elle mérite mieux que ça. Sans même y penser, il pose se doigts le long du manche et sa main droite à plat sur le sillet. Il n'a pas encore commencé à jouer et déjà, il se sent bien. Il se sent à sa place. Dans quelques minutes, le quartier va être supris, pris en otage par la plus belle déclaration d'amour spontané qu'on puisse faire à l'humain, un peu de musique crue et sincère venue d'une gorge enrouée et abîmée, d'une guitare médiocre et libre, d'un coeur présent et ouvert aux autres. Ce sera, pour tous ceux qui passeront à sa portée, un bien belle journée, sous un soleil clément, généreux et simple, sous un vent léger et porteur de sons, d'odeurs et de voix qu'on n'oubliera jamais tout à fait vraiment.

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Commentaires
E
Je me souviens, je l'ai vu, je l'ai croisé, je l'ai entendu. Oui,c'est sûr, c'était lui, sans aucun doute!
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