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la tanière du hérisson
12 mars 2007

Magasin Général - Loisel & Tripp

    Il y a des gens qui ne vous déçoivent jamais. Des amis, des ennemis, des collaborateurs. Des fois, aussi, des artistes. PJ Harvey, Lo'Jo, Bukowski, Carver, Harvey Keitel et, aussi, Monsieur Régis Loisel qui, n'en déplaise au fans des Nuls, est loin d'être un con.
    Le joyeux monde de la bande dessinée, depuis qu'il est le secteur qui rapporte le plus dans le monde de l'édition, n'en finit pas de se galvauder et de s'étendre, publiant autant de petites merveilles que de grosses merdes déféquées à la va-vite et au kilomètre. Tout cela, comme l'agro-alimentaire qui nous vend des images de fermettes à l'ancienne et de terroir pour cacher ses usines et ses abattoirs concentrationnaires, ressemble parfois encore à de l'artisanat, mais tend à virer à l'industrie lourde et peu regardante sur la préservation des saveurs. Confondre authentique et pittoresque est une erreur somme toute facile à commettre, quand le porte-feuille se remplit facilement. Artisan, voilà pourtant ce qu'est Monsieur Loisel.
    Pas prolifique pour deux sous, il s'est contenté, hormis quelques projets périphériques, de pondre deux sagas qui sont tout simplement devenues mythiques dans le paysage BD européen, à savoir La quête de l'Oiseau du Temps (avec son compère Letendre) puis, en solo, un Peter Pan magnifique et définitif. Pour tout ça, il a pris son temps, et rien ne lui donne tort. Je me souviens d'avoir vu sur France3 Ouest, il y a de ça bien 10 ans je pense, une émission où on le découvrait chez lui, tranquille dans sa baraque planquée dans la verdure, à faire visiter son atelier et expliquer comment il travaillait. Je le revois encore montrer comment il corrigeait un dessin foiré (du Fourreux, je crois) en découpant un bout de papier qu'il collait sur la partie à refaire. Un artisan, je vous dis.
    Depuis deux ans environ, il a entrepris une nouvelle oeuvre, à nouveau à deux mais plus que jamais singulière, celle du Magasin Général.
    Loisel travaille sur ce projet avec un certain Tripp, que personnellement je ne me souviens pas connaître. Scenario et dessins sont réalisés ensemble, et autant le ton et l'histoire sont uniques, autant le graphisme qui en ressort est des plus précieux et inattendus. L'humanité crue et touchante des dessins de Loisel se pare ici d'une douceur dans le trait qu'il n'a jamais connue. Les couleurs, la texture, les lumières sont parées d'une rondeur et d'une finesse qui donnent un nouveau relief au dessin jadis tranchant de Loisel. Bref, ne serait-ce que pour cette raison, la série est une vraie réussite.

    Pour ce qui est de l"histoire, là encore c'est assez singulier. Tout ça se passe il y a un certain temps déjà, au Québec, dans un hameau retiré et isolé de tout ou presque, où quelques familles vivent simplement une vie rude et simple. Marie, qui tenait le magasin général, se retrouve veuve et entreprend de garder le magasin ouvert malgré tout. Dans le second tome, un étranger échoue, en panne de moto, aux abords du village et y fait sa place, en bouleversant tranquillement quelques habitudes locales. Dit comme ça (et c'est fait exprès), ça sonne assez basique. mais c'est ce qui fait la force de l'histoire. Comme dans Kiki la petite sorcière ou d'autres Myazaki, la structure de l'histoire ne comprend aucune épreuve initiatique, aucun danger à surmonter, aucun méchant, rien que des humains qui vivent ensemble. Il y a des enjeux, des tensions, mais ils ne s'expriment pas dans un cadre narratif prémaché. Et c'est sacrément appréciable.   

    Deux tomes sont pour le moment sortis, Marie et Serge, du nom des protagonistes au centre de la narration. Des personnages comme autant de pièces d'un puzzle qui construit l'histoire au fur et à mesure qu'on les ajoute à l'ensemble du tableau. Un tableau précieux, chaleureux, bon en maudit, dont on attend tranquillement une suite qui ne saurait, gageons le, nous décevoir.

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