captifs, captivés
Pris de court, ce matin.
Ils avaient annoncé de la neige, dans l'ouest oui, mais pas en Bretagne
! La veille, le coin le plus chaud de France était même Brest, avec ses
glorieux 10°C ! D'ailleurs, à y regarder de plus près sur le parebrise,
ça tient plus du grélon mou que des flocons francs du collier. Pas de la vraie neige. Et puis,
devant la maison, pas encore de quoi fouetter un chat. Alors je prends
la route, content que ça n'ait pas gelé, ce matin.
Sur
la route, le ton change. Il y a des endroits vraiment recouverts, bien
blancs, et les gens dans les bagnoles ne font pas tous les malins. Pas
ceux qui ont compris. A l'école, les toits sont blancs mais la cour est
juste recouverte d'une bouillasse transparente qui fond déjà. Le car de
ramassage arrive, déballe les gamins qui font un détour par les
flaques dans lesquelles on peut danser, avant de se rentrer au chaud.
Il en manque. ils ont un sourire qui en dit long, les loustics. Ma douce m'appelle pour savoir si je suis bien arrivé.
Elle, elle est bloquée dans une longue file de véhicules et pas
certaine que ça bouge avant un moment.
On commence la classe ; bien sûr
ils sont énervés, les marmots, même si ce n'est pas vraiment de la
neige, même s'il n'y en a pas assez pour que ce soit vraiment excitant.
Pas encore. On arrive à travailler, à peu près.
Un papa appelle pour savoir si son gamin
est bien arrivé. Son gamin n'est pas là. Je sens bien qu'il s'inquiète
un peu, le papa, pour sa femme et ses gosses partis sur la route. Une de mes
collègues, un peu plus tard, au téléphone, me confirme que par chez elle, contrairement à
ici, c'est du sérieux, ça circule difficilement. Par la fenêtre, en
raccrochant, je vois que ça tombe à nouveau. Cette fois, c'est bien de
la neige.
A la récré, c'est la folie magique et
incontrôlable des choses inattendues qu'on avale toutes crues. A
peine sortis, les gamins filent tous azimuts, ça crie, ça sourit à tout
va, ils sont heureux. Dans la cour de bitume, ils sautent dans les
flaques de glace en train de fondre. Dans l'herbe, ça tient davantage, la neige,
et ils roulent des boules qui prennent rapidement des proportions
respectables, voire impressionnantes. Pas trop de bataille de boules
parce que la première lancée a eu la bonne idée de se nicher dans le
cou d'un gamin, qui a assez pleuré pour calmer les ardeurs coquines des
chenapans (bon, pas tous, bien sûr, il y a des multirécidivistes
irrécupérables).
Sous le marronnier, le blanc
cède à nouveau la place à l'herbe qu'il recouvrait jusqu'alors, à
mesure que les enfants roulent de grosses boules qui agglomèrent la
neige compacte. Je les filme, ils ont des visages radieux malgré les
rougeurs du froid. Pas d'excitation violente, ils ont l'air pleins d'une
gratitude enjouée, ils profitent de ce qu'on leur donne. Les boules
sont assemblées, ils vont dévaliser le stock de carottes de la
cantinière pour donner des nez à leurs bonhommes. Toute une famille de neige prend forme. Cheveux et barbes de
feuilles et de bouts de bois, des yeux faits avec des bouchons de
feutre usagés; ça rigole.
A midi, c'est le pow wow
téléphonique avec mes collègues des deux autres communes du RPI. Là, ça
tombe bien dru, ça continue et on craint que vers 15-16h, la
température baissant, les routes verglassent. Faut-il annuler le
ramassage scolaire et demander aux parents de venir chercher leur
progéniture scolarisée en ébrégeant la journée de classe par prudence?
L'une appelle la société de transport, l'autre les mairies, moi
j'appelle l'inspection académique. Non, il n'y a que le maire qui peut
prendre ce genre de décision et, pour le car, c'est le conseil général
qui peut prescrire l'arret des véhicules scolaires. Et puis, en début
d'après midi, un beau soleil hivernal illumine la cour, tandis que la
neige et le vent redoublent. La question d'une fin de classe prématurée
ne se pose plus.
Les enfants sont restés à faire des
jeux de société dans la cantine pour la pause du midi, certains se sont
contentés de mettre leurs pieds à chaussettes trempées contre un
radiateur et, ainsi, former un club de piplettes alignées sur un banc.
Dans l'après midi, de gros flocons virevoltent devant les
fenêtres, poussés par un vent qui secoue les arbres de la cour. Je
m'arrête de parler, je les regarde, ces mômes à moi confiés, et je
capitule : "Bon, d'accord. De toutes façons vous ne m'écoutez plus.
Allez, vous avez 5 minutes pour aller vous mettre le nez aux fenêtres,
après on reprend." La classe étant bien chauffée, les nains se mettent
à dessiner avec les doigts sur la buée des carreaux, ça dessine des sapins et des pères
Noël, allez savoir pourquoi. C'est bôoo, dehors qu'ils disent. Ben oui, c'est
beau.
Et la fin de journée va être longue... Le programme de travail
est bousculé, conditions météo obligent, et on termine par un jeu.
Entre temps, à la dernière récré de la journée on a construit un
bonhomme de neige plus haut que moi (et j'ai les doigts congelés).
Après l'école, quand je pars, il fait nuit noire. Et là, dehors, je
vois que la route est bien plus blanche que ce matin. Sur le chemin du
retour, à la lueur des phares, le manteau de neige apparaît de plus en plus épais et, il faut bien
le reconnaître, ça tombe toujours à gros flocons. Comme tout le monde,
je roule prudemment sur les petites routes de campagne. Arrivé sur une
butte, un coup de volant un peu trop viril me fait déraper. Manque de
pot, une voiture arrive en face. Je maîtrise vaguement, et repars dans
l'autre sens, je redérape et repars à contre sens, avant de retrouver
plus durablement ma voie atitrée. Et, plus lentement que jamais, bercé
par les essuie-glaces et le chauffage de l'habitacle, je reviens
jusqu'à la maison. Complètement recouverte d'une épaisse couche. Et ça
continue de tomber.