Un pauvre, ça meurt assez souvent
Je pourrais parler du 15
octobre dernier, journée au cours de laquelle les puissances de ce
monde se sont réunies à Genève dans le cadre pourri de l'OMC pour
décider dans la plus grande opacité des orientations à donner à leurs
politiques respectives, parler aussi des mobilisations citoyennes
autour de ce manque de démocratie globale et du secret qui caractérise
ces tractations.
Je pourrai pousser une gueulante sur
les 47 000 morts pakistanaises
qui, décidément, valent moins de minutes
de JT que les bien moins nombreuses victimes de Louisianne. Il faut
bien dire que ça choque davantage de considérer (enfin !) les USA comme
un pays du tiers monde que d'assister, une fois encore, aux morts
massives de pauvres gens. Comme si les tremblements de terre étaient
plus normaux dans les pays pauvres, comme les autres catastrophes
naturelles. La pauvreté doit attirer les fléaux naturels, non? Ah, ces
pauvres gens... C'est bien dommage, c'est sûr, ma brave dame, mais
bon...
Les pauvres, ça meurt souvent, vous avez remarqué? Et puis il en reste
quand même pas mal, faut pas exagérer.
Je pourrais
aussi essayer de penser quelque chose du reportage que j'ai vu ce soir
sur les cas de ventes d'enfants
par de pauvres mères roumaines ou
bulgares, je ne sais plus. Le journaliste interroge l'une de celles qui
se sont faites prendre la main dans le sac, alors qu'elles allaient
échanger leur bébé contre une liasse de billets dont elle avait bien
besoin. Plus, en tout cas, que d'une bouche à nourrir pas forcément
désirée. Question sybilline, donc, de la journaliste : "Et vous pensez que vendre un enfant peut aider la
famille à mieux vivre?" Et l'autre, de répondre, intelligemment : "je
ne sais pas, je ne sais plus" (ben oui, forcément, elle n'allait pas
répondre oui, la seule réponse évidente qu'elle préssentait sans doute
pas politiquement correcte pour les caméras occidentales).
Je pourrais parler mais je suis mal placé pour ça. Les manifs de
Genève, j'avais envie de me mobiliser et puis non. Le Pakistan je suis
dégouté, navré, démoli pour ces gens, révolté pour le traitement qu'on
en fait, lapidaire et complaisant, mais je n'ai rien d'intelligent à en
dire. Je n'arrive pas, en ce moment, à voir clair, à me dire que la
fatalité n'est pas de ce monde, et qu'il faut se bouger le cul, à
l'échelle qu'on peut. Juste démobilisé, anesthésié, incapable. Espérons
que ça va passer.