la lumière ventrue de l'ogre
Hier, nouvelle sortie hors de l'école pour une année qui s'est montrée riche en désenclavements géographiques et culturels. Oh, des petits, hein, pas de classe de découverte ni de correspondance intercontinentale francophone comme je l'aurais souhaité au départ. Mais du bon ciné pour mômes, des spectacles vivants, des visites dans le temps et l'espace, des éveils par petites touches, qui marquent. Hier, donc, nous sommes allés au théâtre des Jacobins, à Dinan, voir une représentation d'Ogrre.
Ce spectacle est emmené par une unique actrice, conteuse et enlumineuse de songes, qui prend les gosses par le gras du cortex pour les hisser à hauteur de rêve. Dans un cadre assez réduit et convivial (quelques classes seulement), la dame est arrivée par une porte latérale, dans le noir, avec une dégaine de sorcière et un grand chaudron illuminé de l'intérieur qui donnait à sa face perclue de grimaces malines ou effrayantes de quoi se sentir déjà hors du monde. Déployant en guise de robe longue une énorme traîne rouge sang qui s'est révélée être une nappe gigantesque, elle a ensuite déroulé le fil d'une histoire d'ogre comme on en fait trop rarement.
Avec quelques artifices (couteaux, gamelles, plis de nappe, évocation saisissante de la nourriture, mimiques, chansonnettes, scénographie, effets sonores), elle a invoqué le sort d'une fillette délurée avalée par l'ogre affamé surenu dans son village. A l'intérieur de l'organisme, elle en visite les contradictions, le coeur, la nature. Elle visite ses rêves où le monstre se voit instituteur (ben voyons), avec des enfants sur les genoux et pas dans son assiette.
Et, sauvée par les chasseurs du village, qui ont ouvert le ventre de la bête, la gamine leur clame à quel point, avec leurs fusils, leur bottes crottées et leur envies de meurtre, ils font davantage peur aux enfants, du moins à ceux à qui on n'a pas raconté d'histoire d'ogre commode. L'histoire se finit bien, vous n'avez pas à en savoir plus.
La comédienne a réussi sa sortie en invitant les enfants à reprendre la ritournelle de l'histoire tout en distribuant les bouts de corps d'un ogre en brioche. Et devinez quoi? Elle m'a offert la tête, sous les regards jaloux et joyeux de toute l'assistance, ce qui fait que j'ai du la partager au moins avec mes élèves en rentrant. C'est vraiment un sacerdoce, ce métier, par moments...