Assoiffé
Un abat-jour sur le tête d'un nain
de jardin à la peinture écaillée et poussiéreuse, et voila une lampe
bien utile dans un lieu si sombre. Il y a, devant moi, une table
bancale au teint acajou sur laquelle on a collé une large feuille
jaunie tirée de quelqu'almanach de chansons qu'on devine séculaire.
Aucun des tables n'est semblable, elle a une histoire et une façon
d'être bancale qui lui sont propres. Au mur, verni par la fumée de
clope, des photos noir et blanc de femmes ou d'artistes du début du xxe
siècle, des pochettes de 33 tours de chanteurs français comme Jean
ferrat, des dessins ou peintures d'artistes locaux avec étiquette de
prix dans le coin en bas à gauche, et des lampes dépareillées
accrochées irrégulièrement.
Tout fleure l'accumulé, la récup', le
bricolé à la bonne franquette, dans les nappes lourdes de fumées et de
conversations tantôt confinées tantôt braillardes, dans le bouillon de
musique que crachotent les baffles. Et la bière, bien sûr.
C'est
de l'authentique délibéré, au kilo, du spontané en-veux-tu-en-voila, du
pittoresque de principe, de l'humanité identitaire. Il y a de la
cohérence là-dedans et, mine de rien, ce n'est pas plus mal que dans un
endroit convenu mais équilibré, parce que c'est, au moins un peu, un
endroit qui se cherche, qui ne s'installe pas seulement dans l'idée
qu'il se fait de lui même. Et moi j'y suis et je bois.
A une table,
on se prend en photo, plusieurs fois, et le flash beurre un instant les
yeux des tables alentours, où ça discute fort, et fort gaillardement,
où on parle surtout de soi tout en se croyant à l'écoute, je pense, où
l'on est probablement des futer, pseudo ou ex étudiants.
Un repaire. Ouais. Un endroit vers lequel on converge, si ce bric à brac nous parle.
Bon, allez, pas de censure, pas de chichi : on est dans un grand jour,
niveau cliché total, complet, faut pa avoir peur qu'on ne nous croie
pas. Mêmem si c'est vrai, on ne nous croit jamais sans doute, pas
vraiment. A une table, une autre, on finit une bouteille de vin, on la
balade à la cantonnade jusqu'à ce que vide s'ensuive, et puis on sort
un accordéon. La fille qui en joue en joue sans doute mal, mais
l'accordéon est surtout cassé, il ne produit que des sons essouflés.
"Je l'ai trouvé dans les poubelles du cirque, dit-elle, faudra quand
même que je le file à Ludo pour qu'il puisse le réparer." Vous voyez le
genre.
PS: la photo est prise dans le café en question au cours d'un concert du groupe les Oisives, avec une fille qui sait VRAIMENT jouer de l'accordéon.