la vie d'un poil
Ce matin encore, échapper à la curée. Comme les
copains sur la ligne de front (la joue), je pousse, je grandis, en
attendant qu'un jour, forcément, on me rase, on me fauche, je tombe au
champ d'honneur. Pas encore ce matin. Je prends des proportions
inédites.
Certains parmi nous parlent d'autres contrées où les
poils sont frisés, où on ne les rase jamais, où l'on meurt de sa belle
mort. Il faut bien s'occuper, alors on parle. Moi, je parle d'espoir.
Je dis aux autres: "c'est un cap à passer. Pour le moment, on nous
remarque, nous sommes voyants, on gène les gens quand on embrasse, on
gêne les gens qui nous trouvent négligés. Quand on aura suffisamment
poussé, les gars, les gens verront bien qu'on formera un tableau
d'ensemble harmonieux, et ils nous laisseront en paix. Ils réclameront
bien une taille par ci, par là, comme on ajuste une haie. Mais nous
serons acceptés pour ce que nous sommes et une nouvellevie commencera
pour nous. Tenez bon les gars, la terre promise est sous nos pieds.
Enfin, si nous avions des pieds, sans blague, elle serait dessous. Vous
m'écoutez quand je vous parle?"