le poids perdu des mots disparus
Deux bouts d'émissions de radio, en voiture, en fin d'après-midi et ce soir.
Retour nocturne du Ju-Jitsu, France Inter dans l'habitacle et des couillons de lapins
qui traversent n'importe comment à l'extérieur. On entend le moteur et
aussi ce bon vieux José Arthur qui reçoit Bernard Pivot, ça discute de
choses diverses avec la faconde dont sont capables ces deux là. Et
Pivot d'évoquer avec justesse les mots qui disparaissent.
On parle des mots qui font leur entrée dans le dictionnaire, les mots à
la mode ou suffisamment coutumiers pour qu'on les admette dans le
vénérable ouvrage de référence. On ne parle pas de ceux, moins
fortunés, qui partent "par la petite porte". Qui juge qu'ils n'ont plus leur place dans
un dictionnaire? Qui relève leur fréquence dans les écrits (romans,
essais, journaux, etc..) ou leur emploi oral? Etrange mécanique qui
n'est en tout cas pas anodine et qui modèle notre langue, mine de rien,
au moins un tout petit peu.
Autre émission, en
fin d'après-midi, qui rétrospectivement fait écho à ces propos très
littéraires. Un type (un écrivain, pardon) venait présenter son
bouquin. Il faisait état, lui aussi, de la façon dont les mots modèlent la pensée.
De la façon dont l'expression "plan social" renvoit à une réalité
inverse de ce qu'elle évoque. De la façon dont on s'est persuadé que la
classe ouvrière avait disparu parce qu'on a fini d'employer le mot
ouvrier. Et l'on se perd en conjecture sur la façon, aussi, dont le
discours politique s'est unifié, sur la façon dont les ténors de gauche
comme de droite emploient les mêmes mots, s'emploient à résoudre les
mêmes problèmes dans les mêms termes. La gauche parle de croissance
comme on parlerait du bonheur et, de même qu'on ne parle plus de parti
ouvrier, on n'utilise plus l'expression naguère en vogue de
représentation politique "bourgeoise" en désignant l'UDF et l'UMP,
alors qu'ils s'agit tout de même de ça.
Tout a un sens, tout exprime quelque chose, et les béances, les oublis sont, en matière de vocabulaire, un exemple comme un autre de la manière dont une mémoire collective se façonne ou s'atrophie. Reconquérir sa langue, c'est aussi un combat citoyen.