O uchi gari
"grand fauchage intérieur", en japonais. Et, accessoirement, une prise de judo.
Je trouve que ça pourrait aussi bien désigner l'état
dans lequel on retrouve certaines personnes parfois, un ami au petit
matin avec la mine du pendu, ou des gens affalés sur des pas de portes
à l'heure de la fermeture des bars. Des chutes qui font mal mais dont
on se relève, pour peu qu'on ait appris à tomber. Comme au judo.
N'empêche, tu passes dans une rue la nuit, tu croises un bout de vie
dévasté, pour qui, même si demain ça ira mieux, ce soir rien ne saurait
être pire. Un pauvre type en costume froissé qui chiale et qui a les
yeux perdus, ou cette gamine qui n'en peut plus de ne pas savoir quoi
faire d'elle. Un ancien camarade de classe à qui tu n'as jamais rien eu
à dire, mais qui fait pitié, là, peu importe comment sa vie l'a mené
là. Des vieilles femmes qui se croient aux abois et se créent des émois
inutiles. Des pertes de contrôle, des chagrins. Un effondrement
interne, un travail de sape que rien ne retient.
Tu croises les regards, tu sens les gens qui se
regardent s'effriter avec hébétude. Et toi non plus tu ne sauras pas
quoi faire. Alors tu passes ton chemin. L'humain qui se fait avaler par
ce sentiment sombre et poisseux n'a pas de prise là-dessus, il n'en
voit pas. Un autre éclairage l'amènera peut-être à changer d'avis. Ou
bien à faire comme si, une fois un nouveau jour levé. A repartir la
fleur au fusil, au petit bonheur, sans rien avoir compris de tout ça
mais en priant juste pour que ça n'arrive plus. Et qu'on ne se donne
plus en spectacle devant les passants incapables.