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la tanière du hérisson
20 février 2013

fest-noz, la découverte, de J.-L. Kokel

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Le monde se divise en trois catégories, dès lors qu'il s'agit de parler de fest-noz : ceux qui n'y connaissent rien, ceux qui pratiquent mais ne connaissent pas grand chose de la culture et des origines de cette pratique, et ceux qui savent ou croient savoir. Ce livre pourrait presque réussir le pari de plaire aux trois catégories.

Jean-Luk Kokel est avant tout un photographe. S'installant en Bretagne, il a eu l'occasion de découvrir (avec surprise, comme beaucoup de gens d'abord extérieur au phénomène, bretons ou pas) la richesse en diversité comme en profondeur de ce phénomène assez unique qu'est le fest-noz. Il en rend compte dans un livre, dont le sous-titre (comme tous les sous-titres) ne doit pas être ignoré tant il est signifiant dans la démarche de l'auteur : "la découverte". Il retrace son itinéraire d'individu interpellé inopinément par une pratique collective qu'on jugerait volontiers ringarde, folklorisante ou en tout cas archaïque, pour aller à la rencontre ("la rencontre" ferait également un excellent sous-titre) de tout ce que recouvre cet événement banal des samedis soirs en Bretagne. Se faisant, il se met à portée d'emblée du néophyte, en épousant les questions, l'absence de repères au préalable, et les découvertes fortes à mesure que la compréhension et le plaisir liés à ces pratiques s'installe.

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Tout le monde sait quelle différence il y a entre une musique instrumentale et un morceau qui comporte du chant. Instantanément, le chant focalise la plus grosse part de l'attention, parce qu'il véhicule du sens, même si ce sont des inepties. C'est injuste, quelque part, pour tout le travail fait par les instrumentistes, arrangeurs etc, mais c'est comme ça. De la même façon, et très pradoxalement, un livre de photographies laissant une part importante, en tout cas autre que décorative et consensuelle, aux textes et à un propos avec du fond e ncourt le risque que les photographies soient en arrière plan dans la façon dans laquelle le livre est parcouru, lu, et accueilli. C'est ici sans doute un peu le cas. Quand on parle de ce livre, on parle souvent de son propos, rarement de ses photographies, à part pour dire rapidement qu'elles sont très belles. Comme si ça ne méritait pas qu'on s'y attarde, comme si l'important était ailleurs. Je me permet ici de prendre le temps de dire que, plus que belles, ces photos rendent justice à ce qu'est un fest-noz, dans sa diversité de contextes, d'ambiances, comme dans ce qui s'y retrouve de façon récurrente : mouvements individuels ou collectifs, attitudes sociales ou corporelles, le tout avec simplicité et pertinence. C'est un regard qui, parce qu'il ne se veut pas exhaustif ou esthétisant à outrance, rend compte avec élégance et fraicheur de cette réalité là. Depuis la parution du livre, on retrouve d'ailleurs nombre de ces photos dans des articles ou sites traitant du fest-noz, ce qui en soi est une forme de reconnaissance, on va dire.

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Pour le reste, et puisque le monde du fest-noz est aussi une affaire de spécialistes qui n'apprécient guère les affirmations approximatives, faisons un sort au propos et à la démarche de l'auteur. Gardons la métaphore musicale à l'emporte pièces. Vous savez comment sont les albums de guitaristes : en général, c'est assez chiant, surtout quand ledit guitariste se fait plaisir en chantant lui même sur ses morceaux. Là on a un livre de photographe, on pourrait s'attendre à un exercice louable mais peu convaincant, où l'auteur s'attache à décrire lui même ce qu'il entend transmettre dans son livre. Quelque chose de potentiellement laborieux et brouillon, traitant d'un sujet pétri de subtilités, d'héritages historiques et sociaux entremêlés, à côté desquels il est facile de passer quand on est, comme l'auteur s'en revendique, un amateur "en découverte".  En l'occurrence, mon avis sincère est que le pari est plutôt réussi et même plus, que le livre réserve quelques jolies surprises à lire, notamment dans les propos collectés auprès des acteurs du fest-noz.

En effet, J.-L. Kokel a assez intelligemment construit le contenu du livre. Il commence d'abord par le récit personnel de sa découverte du fest-noz, qui pourrait justement être celle de n'importe qui. Impressions spontanées, compréhension intuitive que beaucoup de choses nous échappent en premier lieu, volonté d'en apprendre davantage sur ces pratiques partagées, gratter, s'informer, se lancer... Il aborde ensuite les fondamentaux du fest-noz, qui paraissent évidents à quiconque fréquente ces événements depuis un moment, mais qui sont loin d'être évidents pour celui qui découvre totalement : esprit, prix, contexte (salle, parquet, scènes, buvettes, etc), organisation, codes de conduite ou repères culturels implicites. Il s'attache aussi, et c'est pour moi une grande qualité du livre, à donner la parole à ceux qui évoluent dans ce milieu : danseurs, musiciens, organisateurs, tous évoquent leur passion et la réalité très diverse que recouvre le terme générique de fest-noz. Des frères Morvan au danseur anonyme, tous parlent avec leur voix propre, parfois contradictoire, de leur expérience récente ou ancienne de la musique bretonne à danser. On y apprend tout un tas de choses, par petits bouts, sur la passion, le parcours, la tradition qui anime ces gens que l'on croise lors de ces soirées. Il y a donc une multiplicité de voix à s'exprimer, à dire la réalité du fest-noz au-delà du point de vue propre à l'auteur. Cela permet de dépasser intelligemment les limites de cette démarche humble et appliquée d'un individu en immersion pendant une année dans un univers qu'il ne connaissait pas du tout. Le résultat a des qualités et des défauts, mais pour un disque de guitariste, c'est bien plus qu'un livre de photographe, pour le coup. Il décrit aussi les danses (certaines), les danseurs entre eux, la variété des approches musicales, et toute la tradition plus ou moins ancienne qui s'est contruite autour (concours, etc...). L'ensemble est agréable à lire et emmène, ainsi que le propose le titre de la collection, sur un "chemin d'images" au fil des multiples aspects et subtilités méconnues d'un fait culturel précieux.

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D'aucuns regretteront certaines approximations ou jugements à l'emporte pièces sur tel ou tel aspect du fest-noz, de la musique, des danses. On pourra regretter des omissions, des vues biaisées ou complaisamment béates par méconnaissance, mais ce serait oublier que le livre ne prétend pas être un nouveau Guilcher ou une quelconque somme faisant autorité. Il rend honnêtement compte du parcours voulu par l'auteur, et en récolte deux qualités majeures et très appréciables : la fraicheur et la lisibilité qui rendent accessible ce monde complexe à des gens qui n'en connaissent rien et pourrait leur donner envie de se jeter à l'eau ; la sincérité et l'appétit d'un regard qui ne tombe pas dans l'écueil d'une bienveillance folklorisante ou muséale vis à vis de la tradition, mais s'émeut et participe du fest-noz en tant que pratique contemporaine, en mouvement permanent, bien plus ouvert et fécond que nombre de musiques dites "actuelles". En cela, il ne souffre guère de critique.

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